mardi 24 avril 2012

L'odeur de la marée

Le goût du chlore, c’est avant tout l’histoire d’un jeune homme qui a trop bu la tasse dans sa vie et qui part faire des longueurs parce que c’est bon pour son dos (oui, je file la métaphore chloro-aquatique, tel le dauphin faisant la course avec le pingouin sauteur). Et c’est fou à quel point le temps passe pas vite, quand on fait des longueurs (je détourne Ratafia pour la bonne cause, que son auteur m’en excuse). Et c’est fou à quel point Bastien Vivès aime à nous montrer qu’il sait découper des longueurs bien comme il faut à longueur de pages. C’est un peu son gimmick, d’ailleurs, le découpage de mouvements, et c’est toujours mieux qu’une fille qui danse dans le métro ou dans son appart sous prétexte qu’elle a les cheveux longs et qu’ils bougent bien sur la page quand elle virevolte.

Et que je fais une longueur vers la haut. Et que vers le bas. Et que de biais. Et que un peu partout sur la page. Et que l’immensité de la piscine et de la hauteur du plafond représentent bien l’ennui palpable du protagoniste qui se demande ce qu’il a bien pu faire pour mériter ça. Jusqu’à ce qu’apparaisse, au près, dans l’eau de la promiscuité, une jeune fille bien plus sûre d’elle, du genre poisson dans l’eau limite sirène sans queue et qui va le prendre virtuellement par la main pour le rapprocher de Patrick Duffy.

Et comme elle est pleine d’allant et d’enthousiasme et que lui sort de l’adolescence, ils font des longueurs ensemble, loin du tumulte du monde, comme s’ils avaient une piscine Center Parcs pour eux tout seuls, mais sans les toboggans, car on peut pas faire de longueurs dans un toboggan. Enfin on peut, mais ça rime pas à grand-chose et on se fait houspiller.

Lui, il commence à s’ouvrir un peu, à tomber amoureux un tantinet (c’est pénible, pour ça, l’adolescence, et encore plus sa sortie), à se dire qu’il a bien fait de passer par la piscine, que finalement c’est peut-être ça, la vie : des longueurs, des gonzesses, des doigts fripés et du chlore.
Elle, elle s’en fout un peu, elle est déjà ouverte, et est déjà amoureuse (c’est pénible, pour ça, les gonzesses). D’un autre. Forcément. Il y a toujours un autre. Et il va pas tarder à s’en apercevoir, le ptit père, alors qu’il attend, les yeux levés vers l’entrée, que la sirène (cette garce) fasse la sienne. Sauf que cette fois-ci elle est accompagnée.

C’est le dur retour à la réalité. Il faut retourner faire des longueurs le cœur brisé alors qu’on était si proche du bout du tunnel aquatique avec lumière en sus.

Heureusement, avant de lui briser le cœur, elle lui a glissé à l’oreille sous l’eau
une phrase qui a l’air mi-secrète mi-rigolote et que l’auteur nous invite à deviner en lisant sur les lèvres. Alors je sais pas si vous avez déjà tenté de lire sur les lèvres d’un personnage non animé, mais c’est pas évident. Pour l’instant, après quatre années de déchiffrage intense, j’ai repéré un ‘è’ et un ‘o’. Il me manque encore les mots autour, mais je ne perds pas espoir. Je sens que la clef du succès de ce livre s’y situe. Et ça m’emmerde de passer à côté.

Je vais aller courir sous la pluie, plutôt, en faisant de grands gestes avec mes bras, comme un pingouin sauteur accompagné de dauphins rieurs.

3 commentaires:

  1. Au moins pour ta contribution à la survivance du verbe "houspiller" , ami libraire, tu mérites toute notre considération.

    RépondreSupprimer
  2. Pfiou...on n'a pas idée d'être un Eskimo...c'est bien trop loin, la banquise, surtout depuis que je clopine comme un manchot sur un pied (un accident m'ayant privée provisoirement du deuxième depuis quelques mois).
    L'avantage, c'est que j'ai du temps pour bouquiner et fouiner d'autres maisons vidées de leurs occupants. Aussi à la question mystère , je propose "viens dans mon greni"é", il y a un carton avec des Fl"o"d"o"rs."
    A moins que ce ne soit: "Où est ma cl"é", esp"è"ce de bl"é"r"o" ?"
    ou, dernière proposition de mon esprit cartésien: elle est pass"é"e "comme une loutre à la p"o"ste"...

    Je file, il paraît que les ours sont p"o"l"è"res par ici.

    RépondreSupprimer
  3. Je suis toujours très sensible aux scènes de piscine, depuis Yoko Ogawa ou Jean-Philippe Toussaint (au Japon ou à Berlin). L'odeur du chlore, rien de tel pour réveiller les souvenirs aigre-doux de l'adolescence.

    RépondreSupprimer