N’importe quel passionné vous le dira : il y a toujours
une première fois. Un déclic. Un machin qui se met en place pour à peu près
toujours. Un premier souvenir de lecture marquante, un premier livre qu’on
achète avec ses sous plutôt que de tout cramer dans des carambars, un premier
choc, la première fois qu’on en ressort en se disant que han mais pffff encore
(avec, parfois, un ! à la clef). Et je parle pas juste des heures passées
sous la couette à lire les Tuniques bleues, ça ce sont des souvenirs de
jeunesse. Qui comptent hein, y’a rien de plus important que les souvenirs de
lectures de jeunesse (je n’échangerais pas tous mes Pif gadget et Picsou
magazines contre tous les arcs en ciel du monde), mais ça c’est ce qui nous
construit petit à petit en tant que lecteur, jusqu’à cette déflagration finale
libératrice qui montre la voie.
Pour ma part, et en matière de romans, la lumière est venue
de Stephen King et de It (que j’écris volontairement en anglais pour l’avoir lu
dans cette langue), qui m’a tellement scotché sur mon fauteuil que je n’en suis
plus ressorti de tout l’été et que j’ai enchainé les lectures sans même me
rendre compte que ah tiens, faut retourner à l’école, la vie est de nouveau
foutue, il va falloir interagir et lire la charteuse de Parme (en vrai c’est
surtout La Princesse
de Clèves qui m’a bien fait chier, mais j’ose à peine l’avouer à présent. Du
coup c’est Stendhal qui prend). La
Bd, c’est venu juste après. Je lisais évidemment les Fluide
Glacial en cachette en cours et j’étais obsédé par mes Calvin & Hobbes et
Far Side et Bloom County que je lisais en boucle, mais ça s’arrêtait là. Quand
soudain, puf, sorti de nulle part, on m’a mis ça entre les mains (non, rien à
voir avec Stephen King) : L’île des morts, de Mosdi et Sorel.
Ces 5 albums m’ont littéralement fasciné, et ce sont
probablement ceux que j’ai le plus lus dans ma vie (l’équivalent du premier album
de Raekwon, pour les plus mélomanes d’entre vous). D’une part parce que j’aimais
vraiment beaucoup le dessin et l’ambiance, mais surtout d’autre part parce que
je ne comprenais absolument rien. Je sentais que c’était pas loin, là, au bout
de mes doigts et de mes yeux écarquillés, qu’il y avait forcément une solution
cachée dans une des cases que j’ai dû louper, une porte magique vers une
ellipse encore plus masquée. J’en ai passé, du temps, à scruter chaque page, à
m’extasier sur ces cases improbables, à me retrouver dans un univers à la Lovecraft en n’ayant
aucune idée de qui c’est, ce bonhomme. J’élaborais des théories (fumeuses), je
m’arrachais les cheveux sans crier eurêka, je ne pouvais pas passer une journée
sans fouiller dans les méandres du scénario (fumeux). Heureusement que mes
parents n’en avaient pas grand-chose à cirer de ce qui se passait dans ma
chambre (enfin ils comprenaient pas trop pourquoi j’avais plein de posters de
grands noirs musclés en maillots de basket, mais c’est une autre histoire),
sinon ils auraient pu s’inquiéter et m’envoyer au couvent ou en pension ou un
truc du genre.
Mais il n’empêche qu’aussi opaque l’histoire soit-elle, elle
a tout de même élargi mes horizons vers le lointain tout là bas. J’en voulais
plus, toujours plus, et c’est là que j’ai vraiment découvert la Bd adulte Française (Qui a tué l’idiot,
Le Processus, Léon la Came,
Anita Bomba, Peter Pan etc.) et que jamais ça ne m’a effleuré l’esprit un seul
instant que je ferais libraire un jour.
Après tout, c’est toujours mieux quand la Bd garde une part de son
mystère.
J'adore les dessins de Sorel et j'ai une affection normale pour Lovecraft (l'adolescence et les jdr), mais oui, l'Île des morts est incompréhensible. C'est dommage.
RépondreSupprimerPar contre j'ai un fanzine spécial Lovecraft (jamais lu en entier) entièrement illustré par Sorel et je le garde précieusement : http://www.tentacules.net/toc/toc_/inspi/bd_kpt.jpg
http://www.tentacules.net/index.php?id=2025
Pour toute une génération, Sorel, c'est surtout l'un des illustrateurs de Casus Belli, le magazine, pardon THE magazine mythique du loisir qui transforme vos enfants en tueurs psychopathes et en profanateurs de cimetières juifs de Carpentras - à savoir le jeu de rôle, pour ceux l'ayant connu dans la période glorieuse des années 80-90 (il y a avait aussi les wargamers, fans des divisions de Panzers SS et grands spécialistes des armures nord-italiennes du 14e siècle (1ère moitié), mais on ne pouvait pas taper dessus car toutes les armées modernes y jouent pour pouvoir tuer son prochain, donc c'est respectable, même que c'est grâce à un wargame qu'on a battu Saddam en 91, alors poupougne)
RépondreSupprimerHeureusement, depuis, ce sont les vidéogamers qui ont récupéré le créneau de la psychopathie.
...
Ah, flûte, zut, crotte : c'est les mêmes...
Edualk (qui a viré bibliothécaire, c'est dire)