mercredi 18 avril 2012

La princesse de Clèves et le chemin qui poudroie

N’importe quel passionné vous le dira : il y a toujours une première fois. Un déclic. Un machin qui se met en place pour à peu près toujours. Un premier souvenir de lecture marquante, un premier livre qu’on achète avec ses sous plutôt que de tout cramer dans des carambars, un premier choc, la première fois qu’on en ressort en se disant que han mais pffff encore (avec, parfois, un ! à la clef). Et je parle pas juste des heures passées sous la couette à lire les Tuniques bleues, ça ce sont des souvenirs de jeunesse. Qui comptent hein, y’a rien de plus important que les souvenirs de lectures de jeunesse (je n’échangerais pas tous mes Pif gadget et Picsou magazines contre tous les arcs en ciel du monde), mais ça c’est ce qui nous construit petit à petit en tant que lecteur, jusqu’à cette déflagration finale libératrice qui montre la voie.

Pour ma part, et en matière de romans, la lumière est venue de Stephen King et de It (que j’écris volontairement en anglais pour l’avoir lu dans cette langue), qui m’a tellement scotché sur mon fauteuil que je n’en suis plus ressorti de tout l’été et que j’ai enchainé les lectures sans même me rendre compte que ah tiens, faut retourner à l’école, la vie est de nouveau foutue, il va falloir interagir et lire la charteuse de Parme (en vrai c’est surtout La Princesse de Clèves qui m’a bien fait chier, mais j’ose à peine l’avouer à présent. Du coup c’est Stendhal qui prend). La Bd, c’est venu juste après. Je lisais évidemment les Fluide Glacial en cachette en cours et j’étais obsédé par mes Calvin & Hobbes et Far Side et Bloom County que je lisais en boucle, mais ça s’arrêtait là. Quand soudain, puf, sorti de nulle part, on m’a mis ça entre les mains (non, rien à voir avec Stephen King) : L’île des morts, de Mosdi et Sorel.

Ces 5 albums m’ont littéralement fasciné, et ce sont probablement ceux que j’ai le plus lus dans ma vie (l’équivalent du premier album de Raekwon, pour les plus mélomanes d’entre vous). D’une part parce que j’aimais vraiment beaucoup le dessin et l’ambiance, mais surtout d’autre part parce que je ne comprenais absolument rien. Je sentais que c’était pas loin, là, au bout de mes doigts et de mes yeux écarquillés, qu’il y avait forcément une solution cachée dans une des cases que j’ai dû louper, une porte magique vers une ellipse encore plus masquée. J’en ai passé, du temps, à scruter chaque page, à m’extasier sur ces cases improbables, à me retrouver dans un univers à la Lovecraft en n’ayant aucune idée de qui c’est, ce bonhomme. J’élaborais des théories (fumeuses), je m’arrachais les cheveux sans crier eurêka, je ne pouvais pas passer une journée sans fouiller dans les méandres du scénario (fumeux). Heureusement que mes parents n’en avaient pas grand-chose à cirer de ce qui se passait dans ma chambre (enfin ils comprenaient pas trop pourquoi j’avais plein de posters de grands noirs musclés en maillots de basket, mais c’est une autre histoire), sinon ils auraient pu s’inquiéter et m’envoyer au couvent ou en pension ou un truc du genre.
Mais il n’empêche qu’aussi opaque l’histoire soit-elle, elle a tout de même élargi mes horizons vers le lointain tout là bas. J’en voulais plus, toujours plus, et c’est là que j’ai vraiment découvert la Bd adulte Française (Qui a tué l’idiot, Le Processus, Léon la Came, Anita Bomba, Peter Pan etc.) et que jamais ça ne m’a effleuré l’esprit un seul instant que je ferais libraire un jour.

Après tout, c’est toujours mieux quand la Bd garde une part de son mystère.

2 commentaires:

  1. J'adore les dessins de Sorel et j'ai une affection normale pour Lovecraft (l'adolescence et les jdr), mais oui, l'Île des morts est incompréhensible. C'est dommage.

    Par contre j'ai un fanzine spécial Lovecraft (jamais lu en entier) entièrement illustré par Sorel et je le garde précieusement : http://www.tentacules.net/toc/toc_/inspi/bd_kpt.jpg

    http://www.tentacules.net/index.php?id=2025

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  2. Pour toute une génération, Sorel, c'est surtout l'un des illustrateurs de Casus Belli, le magazine, pardon THE magazine mythique du loisir qui transforme vos enfants en tueurs psychopathes et en profanateurs de cimetières juifs de Carpentras - à savoir le jeu de rôle, pour ceux l'ayant connu dans la période glorieuse des années 80-90 (il y a avait aussi les wargamers, fans des divisions de Panzers SS et grands spécialistes des armures nord-italiennes du 14e siècle (1ère moitié), mais on ne pouvait pas taper dessus car toutes les armées modernes y jouent pour pouvoir tuer son prochain, donc c'est respectable, même que c'est grâce à un wargame qu'on a battu Saddam en 91, alors poupougne)
    Heureusement, depuis, ce sont les vidéogamers qui ont récupéré le créneau de la psychopathie.
    ...
    Ah, flûte, zut, crotte : c'est les mêmes...

    Edualk (qui a viré bibliothécaire, c'est dire)

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