vendredi 7 septembre 2012

Le grand dilemme

Les amis, je suis face à un dilemme. Je suis même tout endilemmisé.
J’étais curieux à l’annonce de la sortie d’un album réunissant Ruppert & Mulot ainsi que Bastien Vivès, tout ça chez Dupuis. Je me disais que ah ? oui bon pourquoi pas, ça peut être chouette, je suis toujours d’un enthousiasme débordant vers la danse Baloo quand on me dit que oui, un nouveau Ruppert & Mulot arrive, car je pars du principe que par défaut, ce sera forcément au moins bien. Ce qui n’est pas rien. Donc oui, là, un peu, j’étais prêt à signer dans le noir et de parapher toutes les pages nécessaires, en admettant que ma signature puisse aider un projet. Je vois pas bien en quoi, mais ma mégalomanie ne doit pas cacher une partie de mon influence véritable.

Et tant pis si c’est chez Dupuis.
Et tant pis si c’est avec Vivès (auteur au talent indéniable, je le répète, mais je sais pas, j’y arrive pas, quelque chose cloche et il m’agace presqu’autant que je m’agace moi-même en le disant). C’est un livre à six mains, comme ils aiment à nous le rappeler dans le dossier de presse, mais à quatre mains contre deux, normalement c’est plié, ça devrait être avant tout un album de Ruppert & Mulot, tout va bien.

Il faut lire du Ruppert & Mulot au fait hein, c’est indispensable. Piochez au hasard. De préférence du côté de Panier de singe ou Le Tricheur, mais piochez, piochez les amis, et découvrez leur sens du rythme, de l’absurde, de l’humour. Et ces dialogues…bon sang ces dialogues. Et ce trait…rha ce trait, qui semble si simple et qui pourtant fait tout, tel le méga robot mixeur 20 touches de mamie, mais un robot mixer qui adorerait se jouer des codes de la bande dessinée.

Donc voilà le dilemme : il faut lire Ruppert & Mulot, dont on retrouve bien le style malgré les visages féminins dessinés par Vivès, et là il ne faut pas s’y tromper, il s’agit bien d’une de leurs Bds. Mais pour une raison purement personnelle et donc incroyablement peu objective, ça coince par moment. Pile quand je trouve l’influence de Vivès trop grande et que ses tics de narration prennent le dessus.
Et là j’ai l’impression d’écrire une chronique pour un site internet qui ferait de la chronique de bandes dessinées, ça va pas du tout (oui, j’aime bien partager avec vous mes pensées en temps réel, c’est la génération twitter, je suis persuadé que ça vous intéresse et que ce que je pense a bien plus d’importance que ce que pense mon voisin quand je sors à moitié nu récupérer ma poubelle. Par exemple).

Tout ça pour dire que oui, allez, y’a des bons moments, c’est de l’action pure avec des références à Cat’s Eye et Tarantino et que sais je (Charlie’s angels), il y a quelques fulgurances R&Mesques jouissives, donc oui bon ok, c’est de la bonne Bd. Mais à l’heure qu’il est, je devrais être en train de battre en rythme de bonheur sur mon clavier, plutôt que de m’arracher le peu de cheveux qu’il me reste à me demander comment diable m’en dépatouiller, de cette chronique, de ce livre, de la vie en général.

C’est mal barré.

jeudi 12 juillet 2012

Lectures de Juin (sobre. efficace. direct)

Je poursuis sur ma lancée de romans récents ou à venir. Alors attention, suis quand même un minimum guidé, un premier écrémage a été fait pour moi par une équipe de libraires de choc, faut pas non plus déconner, je vais pas lire pour lire (enfin c’est déjà ce que je fais pour la Bd, mais c’est professionnel), mes piles en retard sont suffisamment grandes comme ça sans que j’en rajoute et retire à mon temps de lecture. Vos étonnez pas par contre si j’ai pas toujours grand-chose à dire, mes doigts étant engourdis par le froid et mon cerveau pas toujours alerte pendant mes vacances.

Paula Spencer (Doyle) : la suite de La femme qui se cognait dans les portes. Toujours aussi juste et Ken Loachesque.

Les immortelles (Orcel) : récit très gai de prostituées à Port au Prince rempli de rage au ventre et de violence et de survie. C’est épuré et dur, mais c’est beau.

The art of Fielding (Harbach) : L’art du jeu, en français. Très sympa, qu’on aime ou non le baseball, d’ailleurs. Y’a un côté Irving pas désagréable, parfait pour une lecture d’été (enfin quand il se pointera de ce côté nord de l’hexagone).

Sauvez Mozart (Jerusalmy) : parfait exemple d’un texte sur lequel j’ai rien à dire.

Carbon Diaries 2015 (Lloyd) : roman ado/jeunesse qui partait d’une bonne idée (les émissions carbone sont rationnées). Ce qui est bien, déjà, mais pas suffisant.

Prise directe (Colfer) : polar de base basique de pourquoi pas allez

Le retour des tigres de Malaisie (Ignacio Taibo III) : voilà de l’aventure comme on aime (sisi). Le toujours excellent Pablo Ignacio reprend un personnage de légende pour le faire croiser d’autres personnages exceptionnels sur les mers du monde. Non, vraiment, c’est dépaysant et formidablement écrit.

Ouragan (Gaudé) : sujet casse gueule (Katrina et Nouvelle Orléans) avec polyphonie de circonstance, mais qui fonctionne bien. C’est même vachement bien, tiens.

Les trois saisons de la rage (Hadria) : alors oui, c’est bien écrit, très bien construit, on revient 150 ans en arrière du côté de Balzac (ou quelque chose du genre, ma culture en la matière étant limitée), et vraiment honnêtement dans ce genre là c’est parfait. Et parfaitement le genre de truc que j’avais pas envie de lire. Mais ce n’est jamais que moi.

La déesse des petites victoires (Grannec) : ah oui. L’histoire du mathématicien. Excellent roman, qui lui par contre m’a pas ennuyé, sauf les moments façon Tatie Danielle, mais c’est pas très important. L’auteur relate donc la vie de Kurt Gödel, qui fut pote avec Einstein, et qui fut surtout un peu fou sur les bords et plutôt névrosé. Les maths, ça n’a jamais été mon truc, mais j’aime les comprendre, parfois. Et là c’était le cas. Et tout livre qui me fait me sentir intelligent aura forcément ma préférence.

La ballade de gueule tranchée (Taylor) : Traduit par Brice Mathieusent. Ça devrait suffire, comme critique.

Le nom du vent (Rothfuss) : je ne suis pas un expert en littérature fantasy, mais de temps en temps, pour peu qu’elle soit bien écrite et qu’elle se foute pas de ma gueule (j’aime pas qu’on se foute de moi), je ne rechigne pas à me plonger dans une aventure de magie et de farfadets. Bon, là y’a pas de farfadet, mais bien un magicien super fort qui tient à présent un troquet dans le fin fond de la pampa. On revient sur son passé d’enfant super fort lui aussi qui va intégrer une école de gens super forts et dont il va être le plus fort. Ça a l’air de foutage de gueule comme ça, mais en fait super pas. Y’a tous les ingrédients pour faire une vraie bonne histoire de genre (façon Belgariade), en attendant la suite qui arrive là incessamment sous peu.

lundi 2 juillet 2012

Ibn Al Rabin, je t'aimerais même en mec, même en militaire


Ibn Al Rabin (c’est un pseudo) est drôle. Très drôle. Et c’est pas donné à tout le monde, d’être très drôle. Il suffit pour ça d’avoir assisté à quelques mariages pour s’en rendre compte, entre le diaporama, les chansons modifiées et les discours préparés, force est de constater qu’il y a une différence entre un rire forcé (haha) et un vrai rire spontané (uhuhuh maisquilestcon).

Suffit aussi de lire quelques Bds qui se veulent humoristiques, mais n’entrons pas dans ce débat, car la pire question qu’on puisse me poser c’est ‘bonjour, mon père aime l’humour, qu’est ce que vous avez de drôle, sachant qu’il a déjà tous les Profs’. Ils sont néanmoins quelques uns à sortir du lot, et pas que des Suisses amateurs de fanzines, du coup l’horizon se dégage et on va continuer de bien se marrer dans nos chaumières à coups de comment vas-tu yau de poêle ?

Bref.

Ibn Al Rabin, donc.
Il nous revient pour mon plus grand bonheur (j’utilise mon possessif car ils sont sortis pour mon anniversaire, ce que je trouve plutôt chic et teinté de tendresse) en cette fin de premier semestre avec deux ouvrages, dont une patte de mouche chez l’Association (lu rapidos et qui vaut ses 3€). Attardons nous du coup sur celui de l’Atrabile, qui a apporté joie et bonheur et fous rires au sein de mon foyer, qui n’avait pas connu de telles vibrations depuis les dernières Bd de James (Amour, Passion et Cx Diesel et le tome 4 d’Open Space), avec en plus du gâteau d’anniversaire plein la bouche (j’insiste sur ce fait car je viens de passer un cap important dans ma vie, et que mes gâteaux d’anniversaire sont toujours super bons avec beaucoup de chocolat et de glaçage et de moelleux et de bougies).

Bref.

Contribution à l’étude du léger brassement d’air au dessus de l’abîme, comme vous l’aurez deviné depuis, c’est le titre de l’ouvrage en question.qui me fout des larmes au milieu des rires. En fait pas vraiment, mais j’avais envie de citer du Reggiani. Je pense pas avoir prévenu au début, mais cette chronique va être très décousue pour cause d’enthousiasme débridé que j’ai du mal à contenir, et dans ces cas là je réfléchis pas des masses à ce que j’écris et ça donne un peu n’importe quoi. J’espère que c’est communicatif, car là tout de suite c’est tout ce qu’il me reste. Retenons surtout que nous nous trouvons au milieu de rires. Car Ibn Al Rabin est drôle. Très drôle. Il l’avait déjà prouvé dans le parfait Autre fin du monde (épuisé à présent, ce qui est bien dommage), où il faisait étalage de sa maîtrise de la narration et du rythme. Car c’est pas évident de raconter des histoires rien qu’avec du noir et blanc et des petits bonshommes sans cous. D’ailleurs je le soupçonne d’avoir voulu montrer qu’il pouvait aussi dessiner de manière plus traditionnelle (son côté Chris Ware) sur quelques pages dans cette dernière Bd, mais ma foi, ça colle assez bien.

Je vais à présent écourter pour me refaire quelques uns de ses dialogues savoureux (qui en vrai sont surtout à mourir de rire sur place façon Roger Rabbit). Car les occasions de se marrer ne sont pas toujours légion, dans mon rude métier, je vais donc la saisir par le cou.
(non, vraiment, c’est pas facile de faire rire).

vendredi 22 juin 2012

Willy il commence à prendre du poids, là

Bon, c’est bien gentil de parler de livres à tout bout de champ de blé qui germe en ce printemps qui s’achève, mais de temps à autres mes démons me reprennent et me manquent et les sujets de fond me titillent et me voici donc face à vous, les mains tendues paumes vers le haut, prêt à en découdre.

Car l’heure est grave.
Je dédramatise souvent, mais là quand même, plus rien ne va, et j’ai un peu de mal à me l’expliquer. Nous sommes en plein cercle vicieux de la tourmente des sorties et je vois bien sur le visage facebook de mes amis dessinateurs et scénaristes poindre le vent du doute des lendemains qui déchantent et des tignasses à l’envers. Apparemment, il serait de plus en plus difficile de signer un projet si l’on est pas un des ‘grands’ noms du milieu et si on partage pas une pantoufle avec Dufaux ou Corbeyran. Je n’en doute pas un instant. Mais quand même, ces éditeurs, ils ont une façon de fonctionner un peu particulière.

En gros, pour résumer, le marché du livre reste grosso modo le même à peu de choses près. On vend toujours autant de livres, sauf que dans le même temps, le nombre de sorties ne cesse d’augmenter jusqu’au ciel des arbres qui grimpent indéfiniment vers l’au-delà (à peu près 5 000 l’an passé en comptant les rééditions). Résultat, mathématiquement, ils vendent moins d’exemplaires par titres. Et comme dans le même temps chaque personne n’étend pas son argent de poche et son allocation loisirs, fatalement, des choix sont faits. Sauf que les éditeurs (je parle des gros hein, ceux qui ne se soucient pas toujours du boulot éditorial), eux, ils sont pas d’accord. Ils voudraient que chaque album dépasse les 10 000 exemplaires, que tout soit rentable, que leur logo soit visible partout (c’est bon pour l’ego et pour les subventions et pour faire pipi sur le voisin), et que les taux de retours passent enfin sous la barre des 50% sur les nouveautés. Et que dans le même temps le fonds continue de tourner comme avant. Je les comprends, je voudrais un petit peu la même chose s’il vous plait, avec des livres qui se mettent en pile tout seuls et des frais de port inexistants et de la poussière qui en vrai serait de l’or qui viendrait se nicher dans mes cheveux et illuminerait mes clients. Ça ce serait chouette.

Sauf que bah non. Super pas. La technique de l’hameçon jeté de ci de là en se disant qu’il y a bien quelque chose qui va marcher tout en continuant de chercher la recette magique du chaudron avec des pirates aux gros seins, c’est une technique éculée, une qui fonctionne pas, une que j’ai du mal à comprendre, une qui n’est viable pour personne.

Pas viable pour l’éditeur qui perd de l’argent en frais de distribution et de stockage.

Pas viable pour le libraire qui n’a pas toujours la tréso nécessaire pour supporter le flux de nouveautés (et qui ne sait pas bosser autrement et qui lui aussi pense que faire une pile de 10 suffira à en vendre autant même si le potentiel est deux fois moindre), ni la place sur les tables ou en facing, ni le temps de gérer toute la manutention inhérente (et du coup fait ses retours en retard).

Pas viable, surtout, pour les auteurs, qui se retrouvent avec des a valoir et des contrats ridicules qui couvrent à peine l’abonnement internet nécessaire à faire sa pub sur facebook. Il faut faire les albums vite (et parfois bien), travailler avec un max de pression, en faire deux dans l’année parce que vous comprenez, les lecteurs n’aiment pas attendre (c’est pas faux) et puis  vous comprenez, leur disent les éditeurs, les temps sont durs et blablabla .
Mouais. Les temps sont peut-être durs, mais ils sont quand même rentables, et les actionnaires récupèrent leur part du gâteau (qu’ils voudraient plus grosse, mais on en est tous là). Car oui, il y a un gâteau. Et il est beau et sent bon, jusqu’à ce qu’on tente d’y planter le couteau et qu’on se rende compte que c’est un peu rassis, tout ça, sous le glaçage et les bougies.

C’est sûrement un peu facile à dire, mais qu’on se concentre une bonne fois pour toutes sur un travail éditorial, qu’on réduise enfin le nombre de sorties (nombre de projets sont sortis dans la hâte et ne ressemblent à rien) avec vrai accompagnement des auteurs et qu’ils arrêtent d’avoir peur du voisin. En tant que libraires spécialisés, il ne faut pas aussi avoir peur de faire des coupures et de vraies impasses justifiées (tout en donnant sa chance au livre, hein, et en le lisant. ça se lit vite, une Bd, faut pas déconner, y'a moyen de lire toutes les nouveautés, c'est important).


Surtout que du point de vue du lecteur, la colline est jolie mais infranchissable. Et qu’il faut pas trop trop le prendre pour un con. L’acheteur, il a trop de choix. Du coup il aura tendance à attendre qu’une série soit terminée avant de la commencer, ou de la prendre en intégrale pas chère, vu que c’est ce qu’ont privilégié les éditeurs ces derniers temps, histoire de relancer leur fonds de manière originale (des as du marketing, parfois). Et pourquoi acheter un tome 1 si on n’est pas sûr qu’il y aura un jour une suite ? (la tactique de la balle dans le pied chère à Soleil). Il n’a tout simplement pas la place dans son budget pour des séries supplémentaires, et quand bien même, admettons qu’il en remarque une qui a l’air plutôt chouette car elle sort un peu du lot et qu’elle a un petit regard rieur derrière sa couverture, eh bien il passera vite à autre chose, pour la simple et bonne raison que cette bd, qui ne demandait qu’à avoir une seconde chance, est depuis belle lurette dans un sombre carton de retours stocké dans un camion sordide en direction d’un pilon peu accueillant.

Bref, parfois, tout ça, ça m’agace. Car il y a de quoi faire, et qu’on fonce droit dans le n’importe quoi. Le grand public restera le grand public (même si j’ai assez hâte de voir à quel point ils vont se planter avec la mise en place du prochain Titeuf), mais il y a à côté de ça toute une tripotée d’amateurs éclairés et ouverts qui ne demandent qu’à accueillir ces auteurs qui ont du mal à signer leurs projets sous prétexte que ceux d’avant se sont plantés (et à raison). Je ne crois pas des masses en la Bd participative (c’est mon côté snob, confirmé par ce qui en ressort), mais je me demande si l’avenir éditorial ne passerait pas par plus d’auto-édition affirmée et organisée. Sauf que les libraires ne suivront jamais. Car ils ont déjà bien trop de piles à faire et qu’à moins de 40% de remise avec retours libres même si y’a du chewing gum dans les livres, ça ne les intéresse pas.

Je suis inquiet, les loulous.
J’aimerais qu’on donne les moyens à tout le monde.
Et qu’ils se réveillent plutôt que de rejeter la faute sur une conjoncture abstraite.
Et j’aimerais un peu de glace à la pistache, aussi. Avançons un pas après l’autre.

lundi 18 juin 2012

Nuit Blanche avec le sourire

Parfois, la vie nous réserve des surprises. Ces petits accidents qui nous font sursauter et palpiter et nous font sourire au détour d’une coïncidence. Parfois, sans s’en rendre compte, on se réveille un jour et nous voici avec un crédit et une gonzesse sur le dos. Au début tout se passe bien, personne ne se bat pour la télécommande, il n’y a pas de télé dans la chambre, et du coup, c’est galipettes et compagnie dans la joie et la bonne humeur en attendant les oiseaux qui viendront tendre le linge dans le jardin en chantant une ritournelle pendant que le couple se rapproche et s’entrelace un peu tout ce qu’il est possible d’entrelacer. Après quelques années, l’amour s’étiole, c’est comme ça, c’est chimique, on n’y peut rien, faut s’y faire, mais plutôt que d’être pragmatiques et fatalistes, on préfère trouver une autre source d’amour au sein du couple (parce que quand même, on y a mis du temps et de l’énergie et c’est pas dit qu’on en retrouve un/une autre aussi chouette dans sa vie en attendant la crise de la quarantaine), et on décide, sur un coup de tête qu’on croit réfléchi, de se reproduire. Avant évidemment de mettre la télé dans la chambre car ça va cinq minutes, les galipettes avec tout le temps la même personne, surtout depuis qu’on a assisté à l’accouchement.

Maintenant que le gosse est fait en chair et en os, qu’il a aussi fait ses nuits et ses dents et ses cheveux et ses ongles et que sais je encore (j’en en pas sous la main, je sais pas trop comment ça marche ces machins. J’ai quelques souvenirs personnels, mais plutôt à partir de 4 ans, du coup là j’extrapole), qu’il marche et rigole et fait plus ses besoins n’importe où n’importe comment, eh bien il est temps de faire son éducation littéraire. En Bd, y’a pas grand-chose avant 7 ans, comme je l’avais déjà (fort bien) écrit sur le blog d’avant ma déchéance, quand je portais mon habit de lumière plutôt que ces haillons (d’argent), sorti de l’excellente collection BdKids et des Petits Poilus (et quelques autres chez les éditions La Gouttière, qu’il faut soutenir parce qu’elles font du chouette boulot).

Et soudain, voilà qu’il veut faire du foot si c’est un garçon ou du poney si c’est une fille alors que vous vous étiez juré qu’il ne ferait que du golf ou du tennis, histoire de rapporter un peu de sous dans la maisonnée, un retour sur investissement, un enfant ROI, en quelque sorte. Pas de doute, il vieillit et grandit et perd ses dents durement acquises lors des nuits de pleine lune (encore une fois, j’extrapole, mais j’imagine que c’est comme ça que ça se passe, vu les hurlements associés et l’air hagard des parents concernés) et fait du vélo sans les mains et veut un cartable spiderman comme ses copains (dans tes rêves coco, et rends toi utile un peu, va couper du bois) ou Hello kitty comme ses copines (dans tes rêves cocotte, tu récupèreras le Tan’s de ton père, c’est comme ça). C’est le signal. Il est temps de faire quelque chose. Eteindre la télé et la console (pardon, les télés et les consoles et les ordinateurs avant qu’il ne pirate votre compte facebook) et l’emmener d’urgence à la bibliothèque locale.

Et réclamer les ouvrages suivants : Les épatantes aventures de Jules, d’Emile Bravo. Bone, de Jeff Smith. Calvin et hobbes (mais ça normalement depuis le temps vous les avez en double, ou en triple si vous avez eu l’intelligence de les acheter en anglais pour préparer votre progéniture au rude environnement économique qui se profile, histoire qu’ils paient ma retraite) de Bill Watterson, et enfin Seuls, de Fabien Vehlmann et Bruno Gazzotti. Rien que des séries intelligentes qui prennent pas nos mômes (enfin les vôtres, surtout, les miens sont éventuels et non reconnus) pour des loukoums prémâchés incapables de faire la différence entre le vrai et le faux Chocapic. Ils ont une cervelle, sous cette coupe atroce qui se veut à la mode et imposée par la cour de récré et les joueurs de foot, qui ne demande qu’à être titillée, libérant ainsi endorphines et autres fous rires, du genre qui vous permettent de faire de beaux rêves non parasités et qui vous font retrouver le chemin de la boîte de Legos la plus proche (oui, parfois je fais un peu des discours de vieux cons).

Rien que des livres qui seront lus, relus, mis en avant dans la bibliothèque, parfaits pour la sélection de votre douce moitié de dans 20 ans après. Car ce sont des lectures qui vous forment à jamais et vous ouvrent pour toujours, des lectures couperet et rédhibitoires, celles dont on sait que si elles ne sont pas partagées, c’est que c’est mal barré. Un peu comme si dans un couple, l’un préférait la VO et l’autre la VF (ce qui est un motif d’emprisonnement, d’ailleurs), l’un Céline Dion et l’autre Coltrane (je suis tolérant sur les goûts de mes congénères, mais il faut reconnaître certaines incompatibilités), l’un Kitano et l’autre Nora Ephron (je vous laisse chercher).

Oui, c’est un diktat. Mais c’est pour leur bien.  Et le vôtre.

dimanche 10 juin 2012

Life of J-C

Quand je veux impressionner un client (bon ok, généralement c’est une cliente. Mon côté sexiste Casanova de gouttière), je lui demande nonchalamment si au fait, tiens, tant qu’on est là, vous avez lu du Marc-Antoine Mathieu ? C’est un nom intrigant et ils sont donc intrigués et veulent en savoir plus plutôt que de bailler en regardant leur montre et en pensant au rôti de ce soir ou à la glace à la pistache qui les attend devant un film médiocre. C’est du gâchis dans la mesure où la glace à la pistache est faite pour être dégustée et non servir de prétexte pour passer le temps, mais bon, je vais pas commencer une tirade sur les habitudes alimentaires absurdes de mes concitoyens.

Il impressionne rien qu’avec ses pitchs (je suis sorti du domaine culinaire hein, je parle pas de brioches) et ses inventions visuelles, et quand j’explique que voyez-vous, Julius Corentin Acquefaques, c’est un peu le verlan de Kafka, je sens que la curiosité est piquée et que y’a plus qu’à mouliner le moulinet. La particularité de Marc-Antoine Mathieu, outre le fait de partager en partie le patronyme d’un mec qui s’est tapé Cléopâtre, c’est qu’il ne sort un album que s’il a une idée. Et une idée originale. Qui joue avec les codes de la bande dessinée. Et qui permet d’écrire des chroniques qui incluent l’expression ‘mise en abyme’, même si je suis pas toujours sûr que ce soit approprié, mais bon, peu importe, ça rend bien. Bon par contre, quand je montre la 2,333ème dimension, je dois rappeler que oui, c’est en partie en 3D, mais c’était avant la mode, n’allez pas croire, la ressortie de Titanic n’a rien à voir là dedans, laissons les cadavres sous l’eau, focalisons nous sur le vivant et l’abstrait et le noir et blanc qui lui va si bien, à ce Julius Corentin. Le Processus est l’album le plus foufou, celui qui m’a fait aimer la Bd (oui, ils sont nombreux  à m’avoir fait aimer la Bd, mais celui-là est particulièrement marquant). Prix du meilleur scénario en 1994, je fus intrigué, et comme en plus j’aime bien le jaune, j’ai foncé tête baissée. Et puf. Et paf. Et han. Et ah ouais quand même.
Qui sont précisément les réactions de mes clients quand ils se laissent tenter et reviennent peu de temps après. Parce que Le Processus, c’est de la Bd intelligente et maline, un paradoxe temporel évité, une boucle temporelle avérée, la preuve qu’il en faut peu pour que nos rouages s’enraient et qu’on se prenne les pieds dans notre tapis de rêves. Avec en prime un vortex super classe découpé dans le papier. Je me demande depuis si je serais pas, par hasard, un personnage de bande dessinée. Ça expliquerait beaucoup de choses. Le scénariste fait un peu dans la facilité du quotidien par moment et devrait faire preuve d’un peu plus de capacités à manier l’ellipse (le quotidien peut être un peu chiant, parfois, surtout quand le cour est bâché), mais dans l’ensemble il s’en sort pas trop mal. Côté dessin, je me trouve réussi. Faudrait juste songer à arrêter de donner des coups de gomme sur ma calvitie naissante. Merci.  

Tout ça pour dire que monsieur Mathieu est un auteur à part qui me donne un air intelligent qui est purement factice. Ce pour quoi je l’en remercie. Le factice, j’en fais mon affaire.

dimanche 3 juin 2012

Cinco de mayo

Allez, on se prépare petit à petit et en douceur pour les lectures d’été (j’aime bien les lectures d’été, ne serait-ce parce que pendant 2 mois je ne touche pas à une seule Bd), et je récupère surtout de ci de là des romans de la rentrée à venir (et de celle de janvier dernier), histoire de me tenir un peu au courant de ce qui existe dans le paysage littéraire florissant loin des romans qui ont déjà fait leurs preuves.

The sense of an ending (Barnes) : C’est vraiment super chouette. Un petit côté Jonhatan Coe de rien du tout (j'ai un peu tendance à le voir partout dès que y'a un peu d'humour au sein d'une situation du quotidien), mais en tout cas on s’amuse et c’est très bien écrit comme toujours avec Barnes.

L’odeur de la haine (Wilocks) : un polar carcéral qui trainait sur ma pile depuis des années. Efficace dans le genre (et je dis ça sans que ce soit péjoratif).

Sur la route (Kerouac) : alors oui, c’est un peu le livre à la mode, mais je voulais surtout découvrir le rouleau original d’un côté, et une vraie bonne traduction de l’autre. Parce que bon, l’ancienne version est un peu laborieuse, quand même. En tout cas, il mérite pleinement son statut de grand classique littéraire, beat génération ou non, d’ailleurs, et il donne envie de partir faire du stop avec son balluchon et sa loutre sous le bras tout en goûtant aux joies des drogues psychotropes.

L’escalier de Jack (Cagnard) : bon j’en parle maintenant, mais celui-ci ne sort qu’à la rentrée. Et quel roman dites donc, quel roman ! Il fait directement écho à celui-ci-dessus, mais je n’en dirai pas trop pour ne pas tout dévoiler. En tout cas, le style est maitrisé (et écrire à la deuxième personne du pluriel aurait pu vite me gonfler, c’est dire) et certaines fulgurances dans le texte viennent étayer ma démonstration brillante. A ne pas rater dès que ça sort.

La répétition (Catton) : là aussi c’est maitrisé, notamment au niveau de la construction qui est plutôt originale. Bon après, c’est un roman compliqué à conseiller, mais j’ai beaucoup apprécié son coté psychologique.

Gagner la guerre (Jaworski) : han mais comment que c’est trop bien, Gagner la guerre. De l’aventure, de la vraie, avec de la gouaille et des tripes, des situations détonantes et un personnage atypique (mais super fort quand même, même s’il s’en prend plein la gueule). Pour tous les amateurs de fantasy bien écrite (allez, on va dire que c’est de la fantasy, vu que ça se passe à une époque et dans un pays imaginaires, mais c’est tout ce qu’il y a de plus réaliste, façon intrigues de cours) qui cherchent un univers original dans lequel plonger pendant de longues pages ( 1 000 pour la version poche).

La voleuse de livres (Zusak) : ouais allez, c’est mignon, la voleuse de livres. J’aurais dû le lire à 12 ans. Depuis, sur le sujet, d’autres livres m’ont autrement plus marqué. Et pour cause.

La petite terreur de Glimmerdal (Parr) : roman jeunesse sympa comme tout, avec une petite fille de 9 ans qui fait du bobsleigh dans les rues d’un village où aucun autre enfant n’est toléré et qui a pour meilleur ami un vieil homme acariâtre qui a prénommé sa fille Heidi….

mardi 29 mai 2012

Mish Mash paddywash donne une chro au chien

Je sais pas pour vous, mais moi la semaine dernière il m’est arrivé une aventure extraordinaire. En même temps, je vous cache pas que quand on est libraire (qui plus est libraire assermenté blog sur internet), c’est un peu tous les jours une aventure, on est une boîte de chocolats à nous tout seuls, même si certains libraires sont du chocolat liqueur en permanence (je ne sais pas quel est le con qui a inventé ça. Sûrement celui qui a aussi pondu les After Eight). Cette aventure a impliqué votre serviteur, une livebox et orange. C’était vraiment très rigolo, mais j’imagine qu’il fallait être là, sinon on passe un peu à côté. Toujours est-il que je n’avais plus internet chez moi. C’est qu’on s’habitue à ces p’tites bêtes, on s’attache, Internet vous manque et tout est dépeuplé, bordel comment je vais faire maintenant pour trouver la meilleure recette de pâtes au thon et savoir à quelle heure ouvre l’agence Orange ? (j’ai beau chercher, je vois pas trop à quoi d’autre peut bien me servir internet chez moi). Non seulement on s’habitue, et pas que pour ouvrir une boîte caramail ou chater sur multimania, mais en plus c’est rudement pratique pour faire des mises à jour instantanée sur son blog instantané. Et comme je suis plutôt du genre cigale que fourmi (au début j’avais écrit mygale, mais ça sonnait bizarre et poilu et déplacé. Heureusement que y’a Google, qui me permet de briller en société), je n’ai pas pour habitude de faire des réserves et d’écrire pour plus tard. La procrastination à l’état pur. Mais me voilà. En bout de parcours car on arrive à la fin du mois de Mai et je n’ai pas écrit toutes les chroniques promises, mais je n’ai qu’une parole, même si parfois elle se fout un peu de la gueule du monde, et je vais donc donner mon avis express sur chacune des Bds demandées.

Oui je sais bien que c’est pas pareil, mais dites vous que c’est mieux que rien, que j’aurais aussi pu laisser s’écraser le sablier et attendre le mois de Juin, vous dire à y’est c’est ma fête (oui, elle tombe en Juin) et bientôt mon anniv’ (ibid.), donc soyez pas égoïstes, place à moi un peu, on oublie vos Bds, là, et intéressons-nous plutôt à ce qui m’intéresse moi. C'est-à-dire pas grand-chose, si ce n’est gambader la barbe au vent et les fesses à l’air dans la chaleur de l’été et des champs de coquelicots.

Allez, je prends dans l’ordre que j’ai noté sur mon calepin Moleskine chéri, en espérant que je n’ai oublié personne, suis une mygale un peu tête en l’air, parfois.

Les lettres d’Agathe (Ferlut) : la qualité première de cette Bd (enfin celle que je trouve rafraichissante, en fait), outre le fait qu’elle est merveilleusement bien écrite, c’est que ce n’est pas de l’auto-fiction. Parce que bon, merci hein, ça commence à bien (et souvent mal) faire. J’en sais quelque chose puisque je ne sais moi-même rien écrire d’autre. Une Bd que je conseille très souvent à la librairie, pour son sujet et sa trame originaux, qui parle très bien de l’absence d’amour maternel et de ce que c’est que de grandir au milieu d’un secret de famille.

Coucous Bouzon (Ricard) : C’est très drôle, comme tout ce qu’écrit/dessine Anouk Ricard. On croirait comme ça qu’il s’agit d’une satire du monde du travail, mais en fait non, c’est surtout une enquête fofolle et rythmée à la limite de l’absurde dans laquelle y’en a pas un pour rattraper l’autre. Surtout du côté des patrons.

Blankets (Thompson) : j’ai toujours eu un dilemme avec ce Blankets. Principalement parce que je le trouve niais. Et que j’ai toujours eu du mal avec la niaiserie (enfin sauf la niaiserie aux coquelicots, celle-ci est légitime). Reste que c’est un essentiel, paradoxalement (mais suis pas à un paradoxe près), et que le Craig Thompson réussit parfaitement ce qu’il a entrepris. Alors oui je sais bien que c’est pas toujours un argument formidable, certains entreprennent de faire de la merde et y arrivent parfaitement, c’est pas pour autant qu’il faut applaudir, mais je pense que vous me comprenez. Une jolie introspection initiatique sur fond de oh mais qu’est ce qu’il nous arrive, touchons nous de suite et suivons notre libido, sauf que ah non attends, y’a Jesus qui veut pas, p’têt vaut mieux attendre, la frustration est la maîtresse inavouée du désir, viens, tenons-nous par la main, plutôt. Mais sorti de là, c’est chouette comme tout.

Les Moomins (Jansson) : c’est surtout et avant tout un de mes premiers souvenirs de lecture (je parle des romans). Et puis faut reconnaître qu’ils sont mignons comme tout, ces cons. En dehors de ça, j’ai pas grand-chose à en dire, tiens.

Jeanine (Picard) : moi aussi je devrais écrire sur ma voisine. Même si celle-ci n’est pas franchement haut en couleurs (haute ?), que ce soit du côté de Strasbourg ou de la prostitution. Même si ma voisine est plutôt un voisin. Et que je ne le vois jamais. Je sais à peine ce à quoi il ressemble, et j’espère qu’il ne m’invitera pas à manger du chorizo le jour de la fête des voisins (m’obliger à pique niquer avec des inconnus, merci, encore une idée à la con). Bon d’accord, autant que je n’écrive pas sur lui. Ce qui n’enlève rien aux nombreuses qualités du Jeanine de Matthias Picard. Comme quoi y’a encore de bonnes Bds chez L’Association.

Lupus (Peeters) : Aaaaah, Lupus. C’est dommage qu’on soit pressé, j’aurais pu en écrire des tartines (oui je sais, c’est facile à dire) tellement voilà de la Bd que chacun devrait posséder en double. En même temps, j’ai déjà du en parler dans leslibrairessecachent lors de la sortie de l’intégrale. J’en remets donc simplement une petite couche, finalement.

L’archiviste (Schuiten/Peeters) : alors non, il ne s’agit pas du même Peeters. Là on est dans les Cités Obscures. Et ça fait partie des très bons de la série. Bon après, pour être honnête, suis pas exactement un expert en la matière (j’ai dû en lire 4 en tout et pour tout, dont celui-ci), alors autant en rester là, surtout que j’oscille généralement entre fascination outrancière et ennui architectural profond.

The Grocery (Singelin/Ducoudray) : un de mes coups de cœur de l’an passé (ce que ça peut être crétin, comme terme, ce ‘coup de cœur’, faites moi penser à ne plus jamais l’utiliser), une sorte d’ambiance à la The Wire (influencé par le fait que ça se passe à Baltimore, certes, mais aussi parce qu’on suit tous les personnages à égalité dans le milieu de la drogue). Une Bd à part et totalement réussie.

Au pays de la mémoire blanche (Norac/Poulin) : en tout cas, c’est joli. Ou plutôt, je comprends qu’on trouve ça joli. Je fuis évidemment tout ce qui est estampillé Amnesty International, mais là ça vaut le coup de se pencher sur sa question.

Polina (Vivès) : Je ne vais pas m’acharner injustement sur Bastien Vivès, d’autant plus que je le trouve très réussi, ce Polina. Je n’arrive pas à le défendre (mes ventes sont ridicules, c’est fou, alors même qu’il était en pile, alors même qu’il a eu 20 000 prix, alors même que je disais que sisi, c’est bien, pourquoi ?), mais ça n’enlève rien au fait que je le trouve très bien. Il évite enfin de raconter des histoires de puceaux qui se font plaquer dans le métro ou après une nuit d’amour éphémère, ça fait du bien. Après, bon…la couverture me fait peut être un peu trop peur, je sais pas.

Les aventures extraordinaires de Lio (Tatulli) : c’est pas simple d’attirer mon attention en matière de comics trips. Et celui là le fait, et plutôt deux fois qu’une. Un monde effectivement extraordinaire, très prenant, pas toujours hilarant mais avec une identité propre et plantée dès le départ. J’ai une véritable fascination pour ce titre là, sans trop savoir pourquoi, et en me disant qu’il est bien impossible de le conseiller. D’autant plus que franchement, messieurs-dames de chez Hors Collection, était-il bien utile et raisonnable de publier toutes les pages du dimanche ensemble, au début du livre ? Non mais franchement….(ou alors c’est pour une histoire de cahier en quadri, et là je vous félicite pas).

Le chien dans la vallée de Chambara (Micol) : comme toujours avec Micol, c’est super beau. Bon après, son seul défaut (et il n’y est pour rien) c’est d’arriver tout en bas de ce speed-chroniques et que là suis fatigué (il est tard, même si ça se voit pas, et c’est pas toujours de tout repos de faire la roue les fesses à l’air). Enfin son autre gros défaut c’est d’être épuisé depuis un petit moment. Ce serait une joyeuse idée que de le réimprimer.


Bon voilà. Ce fut un peu fastidieux, je le ferai pas tous les jours, mais ma mission est remplie. A bientôt pour de nouvelles aventures, donc, et merci pour vos suggestions !

mardi 15 mai 2012

Smartest kid on earth

Chris Ware est un génie. Oui, en effet, ils sont plusieurs, mais lui est dans une catégorie à part. Pas dans celle des barbus impressionnants, mais plutôt des glabres discrets. D’ailleurs, accrochez-vous pour trouver son nom sur ses ouvrages (Acme Novelty Library principalement), le feu des projecteurs c’est pas trop son truc. Ce qui n’enlève rien au fait qu’il mérite parfaitement une place à part dans notre cœur de bédéphiles avertis où ses initiales devraient être gravées en grand, tel un tatouage majestueux un lendemain de cuite mais qu’on ne regretterait pas 15 ans après.

Quand on me demande quelle est ma Bd préférée, je fais semblant d’être embarrassé, de dire que c’est une question à laquelle il est impossible de répondre (moi, un homme de listes, ne pas pouvoir répondre à cette question, mon œil oui), que ohlala y’a trop de choix, trop de périodes, trop de styles. Puis je réponds que c’est Calvin & hobbes ex aequo avec Jimmy Corrigan. Ce dernier, je ne l’ai pas lu autant que le premier, je ne le connais pas par cœur, je ne ris pas en le feuilletant quand il fait gris dehors et que les hirondelles ne veulent pas venir danser, mais bordel, on approche la perfection absolue en la touchant du bout de l’ongle incarné.

Chris Ware est avant tout un graphiste. Et un maniaque. Tout est pensé, sous-pesé, calculé jusque dans ses moindres recoins. Il suffit pour ça d’observer de près ses couvertures d’ouvrages (non, vraiment, procurez-vous ses Acme Novelty Books. C’est dispo qu’en anglais, mais ça vaut le coup de les avoir dans sa bibliothèque rien que pour l’objet en lui-même) pour se rendre compte de l’absence de marge de manœuvre de l’éditeur (Fantagraphics en l’occurrence puis Drawn and Quaterly, un peu Delcourt en France) et de l’influence art déco de bon goût de partout, ainsi que ce qui semble être de sa part une fascination pour les comics trips d’avant-guerre (Herriman en particulier). On sent l’obsession, chez lui, mais aussi la cohérence de son projet global. Les ANL lui servent de prépublications, notamment pour Jimmy Corrigan (en attendant – youpi – Rusty Brown, qui est en cours) et de laboratoire expérimental, mais où les expérimentations seraient déjà abouties. C’est que c’est pas n’importe qui, le Chris Ware.

Alors oui, c’est sûr, ça paie pas de mine, comme ça. Des lignes droites, parfois pas de ligne de fuite, un style non cinématographique, des aplats sans fastes…et pourtant, la recette fait merveille et colle à ses personnages quelque peu neurasthéniques et qui ont tendance à virer franchement du côté du pas très joyeux et du plutôt pathétique. Ce qui les rend d’autant plus humains, finalement, et nous même on se sent plutôt bien. Surtout que c’est saupoudré de second degré, tout ça, faut pas croire, y’a de l’humour derrière le génie.

Jimmy Corrigan c’est un investissement. Aussi bien en temps qu’en argent (une quarantaine d’euros pour la VF, la VO se trouvant autour de 15€ en format souple moins joli mais quand même). Mais un investissement qui change la vie, des volutes dans le cœur.

lundi 14 mai 2012

Course de bacalao

Si je faisais mon Bukowski (un Bukowski sobre, petit, non ravagé par l’acnée ou la vie, certes) et que les sorties Bd étaient le champ de courses, alors je parierais sur le cheval Portugal pour remporter celle de la plus belle accumulation de clichés. Il aurait une vraie grande et belle longueur d’avance sur ses concurrents, à tel point qu’on en essorerait les pages à la recherche de kétamine dans le sang du jockey ou de gênes de poneys dans celui du cheval (je vois pas comment ça pourrait ne pas être un avantage).

L’artiste trentenaire en mal d’inspiration qui se cherche un peu, qui vit fantomatiquement dans son couple sans trop se poser de questions (heureusement qu’elles sont là pour se les poser à notre place), même que du coup elle en a un peu marre, sa moitié éphémère, qu’il ne s’ouvre pas un peu plus et ne parle pas de ses sentiments et aspirations (de quoi je me mêle, cela dit). Comme souvent quand on se cherche, on part se trouver ailleurs, dans le passé, dans ses racines, dans sa famille, afin de creuser un peu loin du trou qui est en train de se former sous ses pieds. Or, on les choisit pas, ses racines, c’est comme ça. Les miennes sont à moitié Canadiennes, ce qui me vaut quelques quolibets pour je ne sais quelle raison erablophobe, et du coup je peux m’identifier à ce sympathique personnage qui se cherche à la trentaine, même s’il ne me viendrait pas à l’esprit de prendre un avion pour Toronto afin de mieux comprendre ce qu’est le déracinement et l’espoir de moins de neige ailleurs, mais bon, chacun son truc.

Le titre de la Bd ne laisse que peu de place au suspense et oui, en effet, le voilà qui part crapahuter du côté du Portugal malgré ses réticences (se faire plaquer aide à avoir envie de tourner une page et de retourner voir ses cousins au soleil, faut dire). Je m’introspecte suffisamment pour ne pas avoir envie de lire les autres le faire, c’est pour ça que pour ces sujets-là, j’ai tendance à éviter l’obstacle bourriquement.

Sauf que celui-ci mérite pleinement d’être passé les bras écartés et les cheveux au vent tellement l’exercice est lumineux et finalement très peu nombriliste. Le quotidien rapporté à des questions existentielles tout en subtilités, c’est pas donné à tout le monde. Surtout sur plus de 250 pages qu’on lit d’une traite, surtout avec ces couleurs et ces planches qui ne font jamais office de remplissage facile comme souvent dans ce genre.

Portugal c’est déjà un succès éditorial de bouche à oreille de ohlala il faut que tu le lises, ça vaut son pesant de 35€, d’ailleurs il a eu le prix des lecteurs Fnac à Angoulême c’est dire si….heu oui bon. Le succès aurait pu être encore plus flamboyant sans un calcul assez étrange de Dupuis qui a consisté à ne pas le réimprimer suffisamment pour Décembre et Janvier tout en laissant la Fnac faire des grosses piles d’invendus dans leur coin (ils doivent pas se rendre compte que parfois, les lecteurs achètent leurs livres ailleurs). Mais bon, c’est une râlerie purement professionnelle, faites pas attention.

Toujours est-il que dépasser un tel handicap n’est pas un mince exploit, et que j’aurais aimé réussir à caser dans cette chronique le terme ‘débourrage’, sauf que j’ai jamais su de quoi il s’agissait. J’attendrai la prochaine Bd introspective nombriliste.